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Annick Girardin, ministre de la Mer : "On doit protéger les dauphins mais on n'arrêtera pas la pêche"

Dans le Golfe de Gascogne, il n'y aura pas de restriction de l'activité des pêcheurs, malgré la hausse du nombre de cétacés tués. La ministre de la Mer Annick Girardin s'explique.

Marianne Enault , Mis à jour le
Annick Girardin, ministre de la Mer : "On doit protéger les dauphins mais on n'arrêtera pas la pêche"
Annick Girardin, ministre de la Mer : "On doit protéger les dauphins mais on n'arrêtera pas la pêche" © Eric Dessons/JDD

Elle dit en être certaine. Pour les pêcheurs, "c'est un crève-cœur de retrouver un dauphin dans ses filets". Cette semaine, la ministre de la Mer Annick Girardin a arbitré le dossier qui les oppose aux défenseurs de l'environnement : il n'y aura pas de restriction de l'activité et ce, en dépit du nombre à la hausse des captures accidentelles de cétacés. Selon l'Observatoire Pelagis, plus de 1.200 cadavres ont été retrouvés sur les plages de la façade atlantique en 2019.

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Et le chiffre serait en réalité bien supérieur, la majorité des mammifères asphyxiés par les filets ou blessés de façon irréversible coulant ou dérivant au large. Selon ce laboratoire de l'université de La Rochelle et du CNRS, ce seraient en tout 11.300 dauphins communs qui auraient été tués cette année-là. Des chiffres à étudier, selon la ministre de la Mer, qui juge l'état des connaissances "insuffisant" pour justifier toute remise en question de l'activité de pêche dans la zone. Un choix "honteux et irresponsable", lui a répondu France Nature Environnement. Sur ce sujet, et tous les autres liés à son nouveau ministère, Annick Girardin prône une "écologie pragmatique".

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Que répondez-vous à ceux qui vous reprochent d'avoir préféré les pêcheurs aux dauphins?
Sur ce sujet compliqué, il faut agir de manière pragmatique et dépassionner le débat. Les captures accidentelles de dauphins, il y en a. D'autres espèces en sont aussi victimes. Mais nos connaissances scientifiques sont insuffisantes pour remettre en cause la totalité d'une filière aujourd'hui. Nous devons mieux comprendre quelles sont les causes du phénomène, y compris le rôle des pêcheurs. Il faut allumer la lumière. Oui, il y a des comportements inadmissibles de certains. Je ne les accepterai pas. L'Etat sanctionnera les pratiques irresponsables. Mais ce n'est pas parce que quelques pêcheurs ont des pratiques irresponsables, qu'il faut tous les condamner. Beaucoup d'entre eux ont le même objectif que les associations et que tous les usagers de la mer : éviter ces prises accidentelles et participer à la protection de la biodiversité. Cette prise de conscience est importante. Je leur propose une route commune.

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C'est l'intérêt du pêcheur de protéger son écosystème

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Quelle est-elle et en quoi permet-elle de répondre à la mise en demeure de la France par la Commission européenne?
A partir du 1er janvier 2021, il y aura davantage de contrôles sur l'obligation qui est faite aux pêcheurs de déclarer leurs prises dites accidentelles. Jusqu'ici, ce n'était pas respecté. Les chalutiers devront tous être équipés de 'pingers' (dispositifs acoustiques destinés à éloigner les cétacés) tout au long de l'année contre quatre mois jusqu'à présent.

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D'autres mesures sont-elles prévue?
Les pêcheurs vont embarquer des observateurs à bord, là encore avec l'objectif d'améliorer la connaissance. L'année dernière, 24 chalutiers [ceux qui traînent leurs filets] ont embarqué des observateurs, ils seront plus nombreux l'année prochaine, en incluant les fileyeurs [ceux qui déposent leurs filets au fond de la mer] qui ont aussi leur part de responsabilité dans les captures accidentelles. Nous allons aussi tester avec les pêcheurs l'installation de caméras à bord, pour améliorer l'observation de ces captures. C'est une bonne démarche car il faut travailler sur la responsabilité des pêcheurs pour identifier les meilleurs moyens de prévenir les captures accidentelles. Pour la plupart d'entre eux, c'est un crève-cœur d'avoir un dauphin dans ses filets. C'est l'intérêt du pêcheur de protéger son écosystème.

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Il ne faut pas être hypocrite et assumer que l'activité humaine en mer aura toujours lieu

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Pourquoi ne pas restreindre temporairement la pêche comme le demandaient les ONG, par exemple sur la période de reproduction des dauphins?
Restreindre la pêche aujourd'hui serait une décision prématurée. Dans la Golfe de Gascogne, l'effort de pêche n'a pas augmenté au cours des dernières années cependant depuis trois ans le nombre de dauphins tués est plus important, et là aussi il faut comprendre pourquoi. Mais il ne faut pas être hypocrite et assumer que l'activité humaine en mer aura toujours lieu. Elle doit vivre à côté des cétacés. On doit protéger les dauphins, mettre en place de nouvelles pratiques, utiliser de nouveaux outils pour éviter les prises accidentelles, mais on n'arrêtera pas la pêche. Je dois aussi penser aux foyers qui vivent de cette activité. Pour transformer une filière, il faut du temps, de l'accompagnement de l'Etat. Alors c'est sûr, si demain on ferme la pêche pendant un temps, il y aura un résultat sur le nombre de cétacés tués. Mais ce qui m'intéresse, c'est comment on protège les dauphins tout en ayant une activité de pêche. Le développement durable, c'est prendre en compte l'écologie et l'activité humaine. Ce travail est mené en lien avec les ONG, que je rencontre régulièrement au ministère ou sur le terrain.

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Des aides sont-elles prévues pour équiper les pêcheurs de ces dispositifs?
Il y aura un accompagnement pour toutes ces mesures, dont le montant et les modalités seront précisés à la fin de l'année. J'ai aussi demandé aux pêcheurs de travailler sur une charte qui sera signée par tous ceux qui travaillent dans le Golfe de Gascogne. C'est un signe fort d'engagement de la part du monde de la pêche.

Pourquoi ne pas créer des sanctuaires marins?
Nous voulons protéger les cétacés en adaptant les pratiques de pêche. D'autres mesures seront étudiées selon l'évolution des connaissances. Et je veillerai à ce les obligations déclaratives des pêcheurs soient pleinement respectées. Ce que je souhaite, c'est une gestion partenariale des enjeux marins. J'ai en tête la philosophie des parcs naturels marins, comme celui d'Iroise : on n'y interdit pas toutes les activités, on les gère ensemble. Que ce soit au filet, à la ligne, à la palangre, au casier, à pied, au chalut, à la drague, la pêche côtière, dans toute sa diversité, contribue à l'économie locale et reflète la richesse biologique marine. Le parc n'est pas un musée à ciel ouvert mais bien un lieu de vie foisonnant où cohabitent différentes activités humaines, professionnelles ou de loisirs, dans un esprit de dialogue et de respect mutuel.

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La pêche ne sera pas la variable d'ajustement du Brexit

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Au 31 décembre, les pêcheurs français sont menacés d'être exclus des eaux britanniques, sauf accord dans le cadre du Brexit. Où en est-on?
A ce stade, les échanges entre l'Union européenne et le Royaume-Uni n'ont pas permis d'avancée notable en matière de pêche. Je partage l'inquiétude des pêcheurs. La pêche ne sera pas la variable d'ajustement du Brexit et le gouvernement y veille. Je salue à cet égard le travail de Michel Barnier et de la Commission européenne. Nous avons posé des lignes rouges : les accès aux zones de pêche, les quotas et les espèces que nous pêchons aujourd'hui. Il faut que les Européens préservent leurs ressources et leurs accès.

Quel serait l'effet d'un "no deal" sur la pêche française?
Jusqu'à aujourd'hui, le Royaume-Uni a fait des propositions inacceptables. Les pêcheurs préfèrent ne pas avoir d'accord plutôt qu'un mauvais accord, et ils n'ont pas tort. On se prépare à toutes les éventualités, et donc aussi à un non-accord. La France est prête à accompagner ses pêcheries et l'ensemble de la filière. Des outils européens devront être mis en place pour cela.

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Quels sont les moyens de pression sur Londres?
Je pense que l'accord reste possible, car il n'y aura pas d'accord global s'il n'y a pas d'accord sur la pêche. C'est important parce que cela nous donne des leviers pour les faire bouger, grâce au lien qui est fait avec l'ensemble des sujets.

Le ministère de la Mer, ressemble beaucoup depuis trois mois au ministère de la Pêche… 
Cela va pourtant bien au-delà! Mon ministère est celui de la planification maritime, avec une vision complète des usages et des usagers en mer. C'est la pêche certes, mais aussi l'aménagement du littoral, le trait de côte, les sports nautiques ou les énergies renouvelables.

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En 2050, on pourra avoir plus d'un quart de l'électricité française produite par des éoliennes en mer

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Justement, vous avez assisté jeudi au raccordement de la première ferme d'éoliennes en mer à Saint-Nazaire. Il était temps, huit ans après les premiers appels d'offres… 
Oui, on a mis huit ans, les débats ont été longs, mais nous allons enfin voir les premières éoliennes en mer. Le parc va ouvrir fin 2022, il représentera 80 éoliennes installées à 12 kilomètres des côtes. La production sera considérable : 17 gigawatts heure par an, soit l'équivalent de 20% de la consommation totale de la Loire-Atlantique. Les éoliennes en mer sont extrêmement efficaces en matière énergétique. C'est de l'écologie pragmatique.

Quel est l'objectif de la France en la matière?
Si on fait aujourd'hui les bons choix de planification, on peut imaginer qu'en 2050, on pourra avoir plus d'un quart de l'électricité française produite par des éoliennes en mer et donc par une énergie propre.

Ces projets de fermes éoliennes ont été retardés notamment en raison des nombreux recours déposés par des associations. Comment avance-t-on sur ces sujets sensibles?
Avant toute implantation d'une nouvelle ferme éolienne en mer, les populations sont consultées. A Saint-Nazaire, un vrai travail de concertation a été mené avec tous les usagers de la mer. Les pêcheurs ont été indemnisés le temps que les câbles reliant les éoliennes au réseau soient enfouis. Il faut aussi travailler avec les associations pour faire naître un écosystème autour des pieds des éoliennes. Aujourd'hui, on commence les débats en Méditerranée pour déterminer les zones où seront installées les éoliennes flottantes, positionnées elles à plusieurs dizaines de kilomètres des côtes. Nous avons en tout sept projets en France. C'est un potentiel maritime fort. On a une vraie ressource. Il faut le dire et il faut s'en saisir, et rattraper notre retard! Mais il faut aussi planifier davantage les possibilités de zones identifiées pour ces énergies renouvelables sur du plus long terme de manière à ne pas revenir sans cesse au débat. Il faut une transparence totale et il faut prendre le temps de cette concertation.

Vous avez aussi à coeur de réconcilier les Français avec la mer…
Oui, c'est une vraie préoccupation. Les Français ont tourné trop longtemps le dos à la mer, et ce bien que 25 millions de Français vivent dans un département ayant une façade littorale. Ils connaissent peu notre richesse maritime. Or, nous avons un formidable outil : le sentier du littoral ou le chemin du douanier. Aujourd'hui, il représente 5.800 kilomètres dont 1.200 kilomètres à construire ou réhabiliter, pour lesquels il faut améliorer les accès et aider les communes. Nous allons mobiliser le plan de relance pour travailler avec les collectivités territoriales sur ce sujet.

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Ce gouvernement a placé l'environnement au coeur de toutes ses politiques publiques

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Quelle est votre ambition pour le ministère de la Mer?
C'est d'abord de respecter le 14e des 17 objectifs de développement durable qui sont au cœur de l'Agenda 2030, adopté en 2015 par l'ensemble des Etats membres de l'ONU. Il s'agit de conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines. Et après presque trente ans sans ministère dédié, j'ai aussi l'ambition de construire des fondations suffisamment solides pour que plus personne ne puisse le remettre en question.

On a parlé du tournant écologique du quinquennat. Associations et écologistes sont plutôt critiques sur sa réalité…
Ce gouvernement a placé l'environnement au coeur de toutes ses politiques publiques. Peut-être qu'on le perçoit moins car l'environnement est partout, et pas seulement au ministère de la Transition écologique. Sur la mer, on a avancé sur beaucoup de sujets : les parcs marins, les aires protégées, l'hydrogène, les énergies renouvelables, la biodiversité. Le changement est là, dans les actes plutôt que dans les discours.

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Croyez-vous aux convictions personnelles d'Emmanuel Macron sur ce sujet?
Je ne serais pas là dans le cas contraire! Sur ces sujets, je suis une passionnée mais également une pragmatique. Pour moi l'écologie efficace, c'est celle de l'action plutôt que dans la parole. Alors oui, il faut davantage la montrer et sans doute mieux la valoriser. Ma conviction, c'est que l'économie bleue et la mer sont un vivier de compétences et de solutions pour notre pays.

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